III
Ora et Labora :
Vie
et spiritualité des cisterciens
A- L'influence de Saint Bernard
L'originalité du "Nouveau Monastère" tient à ce que les Cisterciens ont voulu renouveler l'ardeur monastique et répondre aux aspirations spirituelles de leur temps par une restauration complète du cénobitisme, à une époque, où, au contraire, les tendances réformatrices allaient soit vers l'érémitisme, soit vers un compromis entre celui-ci et le système communautaire, soit vers un régime de communauté ouverte sur le monde et agissant dans la société (chanoines). Pour réaliser leur idéal, ils n'ont pas vu d'autre moyen que l'observance bénédictine. Toutefois, leur entreprise n'a pas consisté à établir des coutumes plus rudes (comme à Hirsau et même à La Chaise-Dieu), mais à considérer que la règle cassinienne contenait en elle tout ce qu'il fallait pour une ascèse difficile, à condition d'être interprétée le plus étroitement possible et toujours selon une intention de mortification extrême et de cénobitisme total.
Le monastère cistercien est donc une école de spiritualité pratiquée véritablement en commun, ce qui signifie que toute recherche individuelle, toute expression d'un sentiment intime contredisent fondamentalement l'idéal recherché. Le moine est, selon les termes de saint Benoît, celui qui « renonce à sa volonté propre »; il accomplit sa vocation et son salut dans, par et avec la communauté, dont l'abbé élu scelle l'union selon les concepts du fondateur du Mont-Cassin. Cela exige une organisation telle que le religieux soit le moins possible distrait de cette vie commune et que les occupations qu'on lui assigne n'aient pour fin que de profiter spirituellement à lui-même et au groupe. Aussi les Cisterciens instituent-ils, à côté des moines profès, le plus souvent prêtres, qui prononcent les vœux bénédictins après un temps normal de noviciat et qui sont vêtus de blanc, des frères convers qui pratiquent les vertus monastiques, mais sont plus particulièrement chargés des tâches matérielles. Quant à la vie quotidienne, elle est absolument conforme à la réglementation cassinienne : récitation communautaire de tous les offices (auxquels s'ajoute la messe quotidienne, mais sans les excès apparus à Cluny), régime alimentaire très rude (on n'accepte aucune dispense), repos nocturne en dortoir, travail comprenant les grands travaux ruraux selon l'esprit du chapitre XLVIII de la règle (« Si les frères se trouvent obligés par la nécessité ou la pauvreté à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s'en affligeront point; c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains. »).
De là se dégage une spiritualité qui, élaborée dans une organisation cénobitique, est du même type que celle que proposent les Chartreux dans un cadre érémitique. Elle repose sur la fuite totale du monde, la rupture véritable avec lui et le refus de tout rapport avec lui ou de toute influence directe sur lui: « aucun de nos monastères, lit-on dans les statuts de l'ordre, ne doit être construit dans les cités, les châteaux, les villes, mais dans les lieux déserts à l'écart de la fréquentation des hommes ». Elle conduit à la contemplation qui s'accomplit d'abord par une prise de conscience de l'absolue misère humaine, non pas tant grâce à la méditation, comme dans le système cartusien, que sous l'effet de l'acceptation d'exercices très durs qui complètent le renoncement au monde et qui permettent au moine de se détacher de tout ce qui est matériel et charnel. Par là, la volonté de pauvreté est extrême; le moine n'a rien en propre et doit disposer du moins possible afin d'atteindre l'état de dénuement, c'est-à-dire la condition la meilleure pour profiter spirituellement de ce refus des biens. De même, le travail manuel aboutit à imposer au corps, par la fatigue, un régime de dureté qui rend possible de le mieux dominer, de le mépriser et de saisir le sens réel du rejet du plaisir charnel. Le silence, enfin, est une exigence ascétique, afin de se mieux mortifier encore et d'être plus à même de méditer et de sentir, lorsqu'il est respecté en commun, l'union spirituelle des membres du monastère. Il est d'ailleurs entrecoupé par la récitation de prières, afin de rappeler à chacun qu'il n'est moine que par son appartenance à la communauté.
Cependant, la pauvreté, le travail et le silence ne sont pas présentés comme des vertus positives, mais seulement comme des moyens pour atteindre les vraies vertus. Celles-ci, pour les Cisterciens, sont celles que mettait en valeur saint Benoît : l'obéissance conduisant à l'humilité, cette dernière conçue d'abord comme le mépris de soi. Dans la pratique, toutefois, il apparaît que l'insistance apportée à tout ce qui concerne le renoncement au monde, à ses biens et à ses plaisirs aboutit à faire de la pénitence et de la mortification les traits spécifiques et presque exclusifs du régime cistercien. Le moine cistercien, dans les premiers temps de l'ordre, est d'abord un pénitent.
Toutefois, l''activité de l'abbé de Clairvaux, qui eut pour principal résultat de faire de son ordre la congrégation la plus considérée de la Chrétienté, ne fut donc pas sans influer sur les principes naguère élaborés autour d' Aubry et d'Étienne. Sa spiritualité personnelle agit aussi sur celle de l'ordre, pour le moins sur celle de certains établissements et de certains moines. Exprimée souvent en des accents incomparables, reposant sur une sensibilité très vive qui laisse parfois découvrir une sorte de sensualité mystique, elle se nourrit avant tout des leçons et des allégories de l'Ancien Testament beaucoup plus que des Pères du monachisme. Elle ne contredit pas l'idéal cistercien et les exercices conseillés pour l'atteindre. Elle ajoute simplement à ses moyens d'autres méthodes. Mais il n'empêche que, si ces dernières sont davantage utilisées ou si les principes sur lesquels elles reposent sont mieux médités que ceux qui définissent l'ascèse primitive, une certaine déviation est susceptible de se produire. Sur le plan spirituel comme sur d'autres plans, on ne peut pas complètement assimiler Cîteaux et saint Bernard.
Celui-ci, avec enthousiasme,
recherche la mortification et le dénuement afin de mieux mépriser
les appétits du corps. Il conseille aux moines, pour prendre parfaitement
conscience de leur misère et atteindre la vraie humilité,
le travail manuel et la peine qui font mal, étant en parfait accord
là-dessus avec la tradition cistercienne, à laquelle il ajoute
seulement une passion parfois excessive :
« Je vous adjure, frères, dit-il à ses moines dans
un sermon, je vous adjure pour le salut commun [cénobitisme], saisissez
avec ardeur l'occasion qui vous est donnée de faire votre salut.
Je vous adjure, au nom de la miséricorde pour laquelle vous vous
êtes appliqués à vous faire si misérables, faites
ce pour quoi vous êtes venus, et pour quoi vous vous êtes dressés
au-dessus des fleuves de Babylone. « Sur les fleuves de Babylone,
dit le prophète, nous étions assis et nous pleurions à
ton souvenir, Sion. » Ici, vous n'avez pas le soin de nourrir des
enfants, pas le souci de chercher comment plaire à des épouses;
il ne vous est nécessaire de penser ni au marché, ni aux affamés
au siècle, ni même au vivre et au vêtement. Loin de vous
se trouvent, pour une grande part, la méchanceté du jour et
le souci de la vie. Dieu vous a ainsi enfouis dans la cachette de son tabernacle.
« C'est pourquoi ayez l'esprit libre, très aimés, et
voyez qu'il est Dieu. Prenez soin de voir ce que vous êtes et que
votre vocation s'adonne totalement à cette double considération,
ainsi que l'exprimait le saint [ Augustin] dans sa prière: «
Dieu, je me connaîtrai, je te connaîtrai. »
« Mais comment l'homme peut-il se connaître qui fuit le travail
et la douleur? Personne ne peut se glorifier vraiment, dans cette misérable
vie, d'échapper à cette double obligation. Personne, parmi
tous les fils d'Adam, ne vit sans travail, personne ne vit sans douleur.
Il en est qui en évitent une part, mais sans aucun doute il leur
en échoit ensuite une plus lourde, car l'orgueil les tient et ils
sont enclins à l'iniquité et à l'impiété.
»
Le renoncement et la mortification doivent donc permettre, pour Bernard, un enrichissement mystique, à condition de saisir la signification profonde de ce qu'ils représentent, signification qui se découvre dans la pauvreté et la chasteté. La pauvreté, aux yeux de l'abbé de Clairvaux, est davantage qu'une situation matérielle créant les conditions les plus favorables à la méditation et au mépris du corps ; si elle n'est pas conçue comme une vertu véritable, elle est souffrance et a, de ce fait, valeur mystique (la misère de Bethléem opposée par lui à la médiocrité décente de Nazareth). Quant à la chasteté, elle n'est pas seulement un état obligatoire, elle est en soi une véritable vertu qui débouche sur une autre au plan supérieur, la pureté, c'est-à-dire le refus de toute intention, de tout désir charnel, l'oubli du corps qui se réalise par le mépris qu'on lui impose.
Parvenu à ce stade
du cheminement spirituel, le moine est poussé à se livrer
aux joies de la mystique, de l'abandon en Dieu par l'amour, tel que l'expriment
les sermons sur le Cantique des Cantiques, adressés aux religieux
de Clairvaux. Mais cet amour recrée une sensibilité et une
affectivité qui n'ont rien de charnel et exalte parfaitement la valeur
et le rôle de la pureté, de même que, au niveau plus
simple de la piété quotidienne, il permet de retrouver, en
les transcendant, les autres plaisirs auxquels on a renoncé: la richesse
de l'âme, l'attachement à la femme toute grâce qu'est
Marie. En suivant Bernard, on va donc plus loin et plus haut que ne l'avaient
prévu les premiers Cisterciens. On dépasse la recherche élémentaire
et rude de l'humilité dans la pénitence en proposant la pratique,
à la fois matérielle et mystique, de certaines vertus et,
par là, on donne à celles-ci (la pureté surtout) un
rôle tel qu'elles risquent d'obscurcir quelque peu le sens initial
de la mortification et de la rudesse de vie.
B- Les activités religieuses
L'action religieuse de Cîteaux s'est exercée, au cours du XIIe siècle, selon deux modes différents: d'une part, par une influence indirecte et diffuse qui s'est fait sentir en divers domaines de la vie spirituelle ; d'autre part, par une participation active à de grandes entreprises ecclésiastiques.
L'influence proprement dite se décèle d'abord dans l'évolution du monachisme, les Cisterciens apportant, par leur rupture avec la coutume traditionnelle et par leur expérience singulière, un exemple qui ne peut être écarté, même si on ne le suit pas véritablement. A Cluny et dans les couvents clunisiens, on en tient compte et on ne se contente pas de critiquer et de répondre aux critiques. Pierre le Vénérable sait, au contraire, en tirer intelligemment parti, instituant les frères convers, encourageant la tenue du chapitre général et prenant des mesures pour rendre plus austère la vie quotidienne et afin de mieux respecter certaines prescriptions de la règle de saint Benoît. D'autres maisons bénédictines, indépendantes de Cluny, agissent de même. Bien plus, maints établissements récemment fondés et cherchant encore la voie sur laquelle s'engager, particulièrement des couvents ayant eu une vocation érémitique, se rallient au système cistercien et entrent dans l'ordre. Les Chartreux eux-mêmes, dont le régime monastique est très différent, saisissent l'avantage de l'organisation fondée sur le chapitre général et l'adoptent (lors de la mise en place de leurs institutions qui date des années 1130). Quant à la spiritualité cistercienne, elle influe sur la Chaise-Dieu, plus encore sur Prémontré.
Les vertus que proposent les moines blancs (c'est ainsi qu'on les nomme) retiennent l'attention des meilleurs esprits et des âmes les plus élevées en dehors des milieux monastiques, l'action propre de saint Bernard étant sans doute plus déterminante que celle de l'ordre. La pauvreté est davantage l'objet de méditation; on se met à la considérer soit comme un état injuste (Bernard pense que le riche qui refuse le pain au pauvre commet un péché plus grave que le vol et qu'en conséquence le pauvre peut prendre le bien du riche sans autorisation, parce que celui-ci doit le lui permettre), soit comme un état de grâce qui donne la possibilité de mieux approcher Dieu. La chasteté et la pureté sont tenues pour des vertus positives qui font la grandeur du chrétien et de l'homme. Leur pratique est présentée à la chevalerie comme le plus bel idéal, que cherchent à réaliser d'abord les nobles des ordres religieux et militaires, tels les Templiers fondés en 1119 ou l’ordre de Calatrava créé en 1158, dont les relations avec l'abbé de Clairvaux et les Cisterciens sont étroites. Cet idéal est pleinement atteint dans la poésie courtoise influencée par ce courant, le pur chevalier Galaad, supérieur en mérite à tous les autres, spécialement le preux mais concupiscent Lancelot, et seul admis à la contemplation du saint Graal.
Quant aux grandes entreprises
ecclésiastiques, les Cisterciens apportent directement leur contribution
en deux secteurs différents. D'une part, ils fournissent à
partir du milieu du XIIe siècle un nombre appréciable d'évêques
qui rehaussent le niveau spirituel de l'épiscopat : on compte dans
le royaume de France 14 prélats issus de leurs abbayes entre 1137
et 1180. D'autre part, ils sont sollicités par le Saint-Siège
pour accomplir des missions extraordinaires. Alexandre III (1159-1181) se
sert d'eux pour garder des rapports avec le clergé d'Allemagne qui
a officiellement adhéré à l'antipape ; c'est l'un d'eux,
l'abbé de Chiaravalle, qui reçoit en plusieurs occasions la
charge de conduire des négociations secrètes. Mais surtout,
la Papauté, sans doute en conséquence de l'action de saint
Bernard en 1145, les sollicite pour s'informer sur les hérétiques
du Languedoc et arrêter les mesures de répression nécessaires.
Dès 1178, l'abbé de Clairvaux, Henri, deuxième successeur
de Bernard, assiste le cardinal Pierre, du titre de Saint Chrysogone, qui
dirige une très importante légation. En 1181, ayant été
promu cardinal, il parcourt à nouveau le Languedoc à la tête
de nombreux prélats, clercs et religieux, escortés par des
soldats. Quelques années plus tard, Innocent III utilise plus systématiquement
encore les moines blancs : en 1198, il donne légation aux moines
Benier et Guy; en 1200, à l'abbé de Fontfroide, Pierre de
Castelnau, et à un de ses religieux ; en 1204, aux deux mêmes
personnages et à l'abbé de Cîteaux, Arnaud-Amaury. Les
Cisterciens, d'ailleurs, ne réussissent pas dans cette entreprise,
car ils ont grand peine à découvrir la méthode la plus
apte pour enrayer le progrès de l'hérésie et pour discuter
avec les hérétiques. Il n'empêche qu'au début
du XIIIe siècle, trois d'entre eux sont directement mêlés
aux événements qui vont bouleverser la Midi de la France :
Pierre de Castelnau, légat presque en permanence, est assassiné
par les hommes du comte de Toulouse en janvier 1208 ; Arnaud-Amaury et Guy
(abbé des Vaux-de-Cemay) prêchent la croisade contre les Albigeois,
le premier étant chargé, aux côtés du cardinal
Milon, de diriger et d'orienter l'expédition elle-même.
C- Les activités économiques
En conséquence même du genre de vie imposé aux religieux, les abbayes cisterciennes sont à la tête d'importantes exploitations rurales. Chacune d'elles, en effet, se trouve très tôt propriétaire de vastes domaines, constitués grâce aux donations de plus en plus nombreuses au cours du siècle par suite du succès de l'ordre et grâce à des achats que permettent les profits réalisés. La gestion temporelle des monastères est, en effet, remarquable ; elle tient à la qualité des chefs qui ne négligent point cette activité, mais elle est surtout due à l'organisation interne qui exige le labeur manuel, au fait que chaque maison est obligée, à ses débuts, à cause de la médiocrité naturelle des sites où elles s'installent, d'accomplir de lourdes tâches d'aménagement et de mise en valeur, à la présence, enfin, de nombreux convers, issus de familles paysannes et spécialement destinés à l'exécution de grands travaux ruraux. Les Cisterciens pratiquent donc le faire-valoir direct sans faire appel, généralement, à des tenanciers. Les moines s'occupent de l'entretien des édifices et des jardins et participent aux labours, moissons et vendanges sur les terres proches du couvent. Les convers assument en permanence les véritables travaux des champs sur tout le domaine, particulièrement dans les granges fixées sur les parcelles éloignées de la maison centrale et qui comportent des bâtiments d'exploitation où ils résident, quand il le faut, plusieurs jours ou plusieurs semaines.
Les Cisterciens s'intéressent fort souvent d'ailleurs aux techniques et se révèlent bons agronomes, sachant engraisser les sols et ne reculant pas devant les entreprises les plus prenantes lorsqu'il s'agit de mieux aménager l'exploitation rurale ou les ateliers dans lesquels sont fabriqués les outils. L'abbaye de Clairvaux, telle que la décrit un document du XIIIe siècle, constitue l'un des meilleurs exemples de ces remarquables réalisations. Ici, les moines ont organisé leur établissement en utilisant au mieux l'Aube toute proche, dont ils ont détourné et endigué le cours :
« Là où finit le verger commence le jardin, partagé en carreaux, dont les limites sont tracées par de petits ruisseaux,. Cette eau sert à deux usages, nourrir des poissons, arroser les légumes. Le cours infatigable de l'Aube la fournit. Un bras de cette rivière, traversant les nombreux ateliers de l'abbaye, se fait partout bénir par les services qu'il rend. L'Aube y monte par un grand travail; et, si elle n'y arrive pas tout entière, du moins elle n'y reste pas oisive. Un lit dont les courbes coupent en deux le milieu de la vallée a été creusé non par la nature, mais par l'industrie des moines. Par cette voie, l'Aube transmet une moitié d'elle-même à l'abbaye, comme pour saluer les religieux et s'excuser de n'être pas venue tout entière, puisqu'elle n'a pas pu trouver un canal assez large pour la contenir... Quand parfois le fleuve débordé précipite hors de ses limites ordinaires une eau trop abondante, il est repoussé par un mur qui lui est opposé et sous lequel il est forcé de couler. ».
La rivière fait aussi fonctionner le moulin, la brasserie, le moulin foulant et la tannerie. Elle est donc utilisée au mieux qu'il est possible : « Que de chevaux s'épuiseraient, note le rédacteur, combien d'hommes se fatigueraient les bras dans ces travaux que fait le fleuve si gracieux auquel nous devons et nos vêtements et notre nourriture. »
Dans d'autres abbayes l'aménagement s'est porté sur le drainage et l'assèchement (monastère des Dunes, près de Dunkerque). Souvent, il a simplement conduit à des défrichements, encore que les Cisterciens aient moins participé qu'on ne le dit fréquemment aux grands déboisements, qui ont été davantage accomplis par des seigneurs laïcs et par des communautés paysannes. D'une façon générale, en tout cas, les moines blancs se sont attachés à mettre en valeur leurs terroirs de manière à produire ce dont ils avaient besoin. Agriculteurs appliqués, ils sont parvenus à obtenir de bons rendements sur leurs terres à blé et à tirer de leurs vignes des vins d'excellente qualité (Le Clos-Vougeot).
Mais ils ont été encore davantage pasteurs et éleveurs,
sans doute parce qu'ils n'avaient pas les possibilités matérielles
(main-d'œuvre) de mettre en culture leurs domaines, parce qu'ils n'en
ressentaient pas la nécessité (la production étant
suffisante) et parce que, souvent, la disposition même des bois et
des prairies, ainsi que la qualité propre du sol et les conditions
climatiques prédisposaient davantage à l'élevage qu'aux
cultures. Le cheptel des monastères cisterciens fut abondant et de
qualité avec les bovins des abbayes de l'Ile-de-France, les vaches
laitières des couvents alpins, les chèvres, les brebis et
les moutons des maisons du Midi de la France, d'Italie et d'Angleterre,
etc.